Nantes, ville herminée
Nous sommes tellement accoutumés à la présence de ces volets herminés dans la ville que l'on n'y prête même plus attention. Nous passons devant tous les jours sans les voir.
Il est difficile de dire à quelle époque remonte cette tradition de découper des ouvertures en forme d'hermines sur les volets à Nantes, mais ceci mériterait quelques recherches. D'après l'année d'ouverture de certaines rues il est possible d'affirmer en toute certitude que cela date de la 2ème moitié du 19è et s'est perpétué jusqu'à la reconstruction.
L'année de création de quelques rues particulièrement concernées indique 1869 pour le 7 Place Mellinet, 1874 pour la rue de Coulmiers, 1881 pour le boulevard st Aignan, 1882 pour la rue Desaix et 1899 pour la rue Dupleix. Les grands boulevards qui relient Chantenay à Doulon ont été construits entre 1840 et 1891.
A l'heure actuelle, l'on observe encore de nombreuses hermines sur les maisons à Nantes.
Les gravures anciennes qu'il nous été possible de regarder ne permettent guère de voir le détail des volets. Par ailleurs, l'état actuel des maisons anciennes n'est pas forcément très authentique.
En effet, un règlement municipal de police du 6 juin 1743 avait instauré un grand nombre de règles de construction dont l'obligation de construire les immeubles et escaliers en pierre et aussi l'interdiction d'attacher aucun volet à l'extérieur sur la rue, obligeant les propriétaires qui en avaient à les ôter dans le mois.
L'hôtel Durbé du 86 quai de la Fosse et qui porte la date de 1756 a cependant des hermines sur les volets des greniers mansardés, ainsi que sur une devanture en bois du rez-de-chaussée (bien que le dessin ne soit pas le même). Il n'est pas exclu que certains immeubles du 18è siècle de Nantes aient eu des volets herminés ouvrant à l'intérieur au dernier étage tout au moins et que ceux-ci aient été supprimés lors des restaurations et notamment au moment où les combles ont été rendus habitables.
La tradition des hermines à Nantes pourrait être plus ancienne et être en rapport avec le fait que Nantes a été de fait capitale ducale surtout du temps de François II et d'Anne De Bretagne. Il n'est pas impossible de penser même que ceci ait commencé vers 1460, date où les princes bretons ont décidé de fixer à Nantes la résidence habituelle de leur cour ("Nantes, capitale des Ducs de Bretagne" Jean Kerhervé dans "Nantes et la Bretagne" édition Skol Vreizh 1996).
Il pourrait s'agir d'une coutume de rendre ainsi hommage aux Ducs de Bretagne.
Les hermines étaient certainement au départ réservées à la famille ducale et éventuellement à quelques personnages de la Cour, hauts fonctionnaires, magistrats, militaires, échevins. Elles se sont multipliées par la suite au point d'essaimer dans toute la ville à l'époque de son expansion du 19ème siècle, comme la résurgence d'une période glorieuse ou une manifestation d'attachement des nantais à la Bretagne.
Il se peut aussi que ce soit des menuisiers qui aient lancé cette mode des hermines ou bien qu'il s'agisse d'un symbole qu'affectionnaient les partisans de l'ancien-régime, assez nombreux à Nantes.
La grande vogue semble se situer surtout à partir de la fin du XIXè siècle, comme en témoigne Pitre De Lisle de Dréneuc en 1892 qui remarque que " jamais l'hermine n'a été aussi en faveur qu'elle ne l'est maintenant " ("l'hermine de Bretagne et ses origines" par M. P. De Lisle de Dreneuc dans le bulletin de la société archéologique de Nantes 1892)
Le fait est que Nantes est bien la seule ville en Bretagne où l'on voit autant d'hermines sur les maisons, sans que l'on trouve des explications à ce phénomène dans les livres d'histoire.
Répartition géographique

A ce jour (recensement au mois d'Août 1998), nous avons effectué un recensement partiel des volets et soupiraux herminés à Nantes pour se faire une idée de l'ampleur du phénomène. Nous avons relevé les adresses de 382 maisons où la forme des hermines avait encore quelque ressemblance avec la forme connue.
Ce travail n'a pas été systématique et est loin d'être exhaustif. Il faudrait multiplier par 2 ou par 3 ce chiffre. Il devait y en avoir beaucoup plus il y a encore une dizaine d'années.
Les quartiers où l'on en trouve le plus sont ceux des maisons bourgeoises et des immeubles de belle facture. L'hermine est plus rare sur les maisons modestes.
Il en reste peu dans l'ancienne ville, bien qu'on en trouve aussi. Il y a plusieurs explications à cela. Tout d'abord les bombardements de 1943 ont détruit ou rendu inhabitables 8000 logements et il est évident que si les murs sont restés debout les fenêtres ont disparu. Il est possible que les cartes postales d'avant-guerre fournissent des détails intéressants sur ce point mais nous n'en n'avons pas trouvé.
D'autre part, l'ancienne ville - où justement il ne reste presque aucune hermine - était depuis très longtemps investie par des boutiques au rez-de-chaussée des immeubles. Or, les commerces ont progressivement remplacé leurs devantures en bois par des grilles métalliques, puis par des vitrines. Les soupiraux et les volets des rez-de-chaussée ont peut-être ainsi pratiquement tous disparu.
Diversité des dessins
Il y a de quoi être dérouté par la grande diversité des dessins.
La forme la plus connue et qui est en fait déjà l'aboutissement d'une longue évolution du dessin ("l'hermine" par S. de la Nicollière Teijeiro dans la revue de Bretagne et de Vendée, 1871 et "l'hermine de Bretagne et ses origines" par P. De Lisle de Dreneuc dans le bulletin de la société archéologique de Nantes, 1892) s'est prêtée à de nouvelles interprétations fantaisistes ou personnelles.
Souvent une série de maisons voisines voire mitoyennes porte des hermines, comme si les mêmes ouvriers avaient opéré dans la rue. Nous pouvons remarquer clairement cela dans le quartier de Chantenay où c'est carrément le même modèle qui a servi pour tout le quartier et il s'en dégage une grande harmonie architecturale.
Jean-Louis Roger qui est spécialiste en restauration de bâtiments anciens a remarqué que l'on retrouvait des formes herminées même à Angers où des ouvriers étaient allés travailler à l'époque du roi René et jusque dans le sud de la France. Ces compagnons, qui accomplissaient leur tour de France voyageaient avec leurs gabarits et auraient en quelque sorte exporté l'hermine au-delà de la Bretagne.
Parfois, l'individualisme semble dominer (rue Dupleix, rue Félix Faure, rue Général de Sonis) et chaque maison a pratiquement sa propre hermine, toutes différentes les unes des autres.
L'on peut même dire que le dessin a parfois été adapté aux possibilités de l'outil que l'on avait sous la main (perceuse électrique ou scie sauteuse et même des outils plus rudimentaires). Ainsi, il n'est pas rare de trouver sur des soupiraux ou portes de cave en métal donnant sur la rue des hermines dont les contours ont été tracés au moyen d'une série de trous en pointillé.
Il faut déplorer globalement un appauvrissement dans l'emploi des matériaux qui permettent de moins en moins la réparation et qui va du bois vers le métal puis au plastic, stade suprême de la décadence.
Si l'on décompose la forme de l'hermine, l'on a en haut une croix et en bas une sorte de trident dont les pointes sont orientées vers le bas. Il arrive aussi que le trident soit en haut et la croix en bas, sans que l'on sache si c'est volontaire ou si l'ouvrier s'est trompé en dessinant son modèle ou encore en l'appliquant. On a pu observer des volets herminés qui ont été récupérés et recoupés de telle façon que les hermines se sont retrouvées en définitive à l'envers.
A partir de ce modèle de base, la croix a été remplacée parfois par un trèfle ou par 3 ronds, plus ou moins rapprochés ou par des losanges ou des volutes sophistiquées qui s'inspirent de fleurs, de flèches ou d'autre chose.
En 1871, Stéphane de la Nicollière-Teijeiro, Président de la société d'archéologie de Nantes avait recensé une quinzaine de formes différentes et en 1892, Pitre De Lisle De Dréneuc, conservateur du musée d'archéologie de Nantes, en avait dessiné 10 formes basiques (bulletin de la société archéologique de Nantes 1892). Il se plaignait déjà de " certains dessins fort laids tels l'hermine en forme d'insecte écrasé dont la panse est garnie de fils qui ressemblent à de petites pattes, l'hermine allongée en forme de rave plus ou moins poilues sur les bords ; l'hermine imitant, sous Charles de Blois, la fleur de lis et connue sous le nom de pseudo-lis ; enfin l'hermine coupée carrément par une ligne droite dentelée qui la fait ressembler à un peigne"
Les années folles ont enrichi le motif de fleurs, telles que la tulipe à 3 pétales, orientée soit vers le haut soit vers le bas (musée Dobrée). Le trident du bas est souvent représenté par un triangle plus ou moins haut ou 3 ronds ou encore par une queue qui se sépare en 2 pointes ou bien une hampe qui se termine par un rond.
L'on rencontre parfois des dessins très originaux que l'on ne retrouve nulle part ailleurs (ex : hermines plus ou moins phalliques rue des états).
La symbolique du trèfle, du cœur et du pique, très souvent employée partout dans le monde pour pratiquer des ouvertures sur les volets, a aussi été utilisée dans la composition du dessin de l'hermine, peut-être dans le souci de banaliser un symbole qui rappelait trop l'ancien régime (rue de l'évêché).
Les formes basiques
- le dessin classique qui présente une moucheture à 3 pointes et qui est de loin le plus répandu (rue Blanchart)
- des formes très primitives d'hermine (rue Dubois)
- des formes sophistiquées, fleuries (Route de Rennes, Place mellinet, rue Chateaubriant)
- des formes stylisées, épurées jusqu'à être représentées par un simple trou au-dessus d'une ouverture longitudinale, ou bien des dessins assez symétriques (rue Dupleix, rue Desaix, rue des Dervallières)
- des formes apparentées aux 3 couleurs : trèfle pique cœur (Boulevard Lauriol)
- des formes complètement fantaisistes qui sont le produit plus ou moins heureux de l'imagination à partir du thème de base (rue Leroux, rue Chateaubriant, rue de Coulmiers, rue Lusancay, rue poulain, place Dumoustier, rue St Jean). Il est clair que ces hermines-là ont souvent été réalisées de façon " sauvage " par les propriétaires eux-mêmes. Elles n'ont pas été le fait d'ouvriers menuisiers, comme cela devait être le cas autrefois.
L'hermine continue, quelle que soit sa forme plus ou moins fantaisiste, à représenter la Bretagne, même si cet emblème a été pour l'instant écarté des logos officiels par "les services de communication des collectivités territoriales".
L'on remarquera en effet que la région dite des pays de la Loire a troqué son blason initial qui était "parti au 2 d'hermines plain pour rappeler que la Loire-Atlantique était issue de la Province de Bretagne" pour une carte de la région vue au grand angle.
L'on notera que la ville de Nantes a, elle aussi préféré un plan de ville stylisé à ses très anciennes armoiries dont le texte en termes héraldiques est "De gueules au navire équipé d'or, habillé d'hermines, voguant sur une mer de sinople, au chef d'argent chargé de cinq mouchetures. L écu est timbré d'une couronne comtale et entouré d'une cordelière".
La poésie n'est décidément pas à la mode.